Pour rejoindre Kyoto, je
monte à bord du joyau ferroviaire nippon (et très sûrement
mondial), le shinkansen. Ce
serpent de ferraille glisse sur les rails à une vitesse folle tout
en offrant un confort de qualité à ses occupants. A chaque arrêt,
on observe les japonais entrer et sortir du train en files très
organisées. Tout est parfaitement coordonné et à l'heure. Un tel
niveau de normalité en est même presque flippant.
Je
redécouvre Kyoto via sa superbe gare et son immense atrium. En face
du parvis se dresse la Kyoto Tower et son acier rouge et blanc, telle
que je l'avais laissée quelques années auparavant. Kyoto est
vraiment le pendant de Tokyo. Ancienne capitale du pays, elle regorge
de temples. J'ai plaisir à m'immerger de nouveau dans cet univers
même si je n'ai pas pour ambition de faire une nouvelle visite
complète des lieux. A l'est de la ville, on découvre le vieux
Kyoto dans le très célèbre quartier Gion. Beaucoup de touristes
japonais se prennent en photos avec leurs kimonos colorés dans ce
décor si typique de ces rues aux pavés clairs et aux maisons au
bois sombre et humide. Des nattes recouvrent les fenêtres en guise
de volets. Je me dirige vers le Kiyomizudera, le plus célèbre des
temples. A mesure que je m'en rapproche, les petites ruelles
commencent à grouiller de touristes, locaux et étrangers. Cette
procession passe devant une flopée de boutiques d’artisanats
offrant petits objets et autres alléchants mets. Le Kiyomizudera a
effectivement quelque chose à part. Pas spécialement beau ou
imposant, mais à flanc de colline, il offre une jolie vue sur la
ville. Et ce sont tous les petits rituels autour qui le rendent si
populaire, comme celui de passer, les yeux fermés, d'un rocher à un
autre distant d'une dizaine de mètres. Une réussite et c'est le
succès en amour assuré.
Je
referai également le pavillon d'or et
le pavillon d'argent.
Si le premier est noir de monde et se résume finalement à la vue
d'un pavillon dorée au bord d'un lac, le second s'offre à la vue
avec moins d'apparat mais propose un cadre magnifique, la perfection
d'un jardin japonais. Dans une clairière entourée de hauts arbres
et d'épais bambous, autour du bâtiment de bois posé au bord de son
lac, on flotte dans un univers de légèreté entre tapis de mousse,
pierres grises harmonieusement disposées, plages de sable finement
ratissées et petits arbres ciselés aux feuilles d'un vert
saisissant. Une parfaite alchimie que les japonais expriment
parfaitement en trois lettres, zen.
Dans les environs de
Kyoto je redécouvrirai avec plaisir Inari, sanctuaire perdu dans la
forêt très célèbre pour son armée de toris oranges (les
portes symboliques shinto)
qui jonchent le parcours. Les jeux de lumières entre les arbres et
l'amoncellement des ces portiques font de la montée de ces marches,
un enchantement. Enfin ça c'était dans mes souvenirs. En effet,
malgré l'heure matinale, c'est accompagné d'une véritable marée
humaine que j'aborde les premières pentes. Agglutinés les uns sur
les autres, on s'engouffre à petit pas dans cet entonnoir orange. Où
est le charme ? C'en est presque grotesque. Mais je prends sur
moi, je me dis que plus haut la foule sera moins nombreuse (un peu
comme après le premier kilomètre d'une course à pied).
Et effectivement, on perd rapidement la majorité des vacanciers
chinois (qui on sûrement un emploi du temps à respecter
et une fois la photo souvenir prise peuvent retourner à leurs bus).
Ainsi, plus je grimpe et plus
je retrouve la magie des lieux. Dans le calme et la fraîcheur de la
forêt, la succession monotone des toris devient harmonieuse ;
et au détour de certains virages on découvre de jois petits temples
gardés par des statues de pierres. Avec les plus téméraire,
j'apprécie, plus haut, un joli point de vue sur Kyoto et même, en
fond sur la gauche, sur la skyline d'Osaka.
Dans
l'après-midi, je file plus au sud, à Nara, également ancienne
capitale. On traverse une jolie petite ville pour aller de la gare au
parc, le cœur touristique. Dans cet environnement vert, on découvre
une multitude de pagodes, temples et pavillons. C'est très joli,
mais les gens viennent ici principalement pour deux autres choses. La
première est le Todai-ji, un immense temple abritant un
statue de Bouddha tout aussi grande. A peine le mur d'enceinte
franchi, on est frappé par la taille imposante de l'édifice et
encore plus par la statue y logeant. La deuxième raison d'une visite
à Nara, ce sont ses habitants. Les jardins du parc sont en effet
envahis de biches et de daims. Ceux-ci se promènent tout
tranquillement, pas gênés le moins du monde par ces attroupements
de touristes. Des vendeurs ambulants fournissent des gâteaux aux
visiteurs pour les nourrir. On s'approche facilement de ces animaux
dociles coupés de leur habitat sauvage. Sachant qu'il vont être
récompensés par une friandise, ils répondent par mimétisme aux
gestes des visiteurs. En fin de journée, on n'est ainsi pas surpris
de les voir continuellement hocher la tête. C'est tout de même un
peu triste de les voir dans cet environnement artificiel. Mais
ils n'ont pas l'air d'être malheureux, ils sont gâtés et
reçoivent de multiples marques d'affections comme ce papi japonais,
assis sur les marches du Todai-ji, qui embrasse dans le coup une
biche qui passe sa tête au dessus de son épaule pour grignoter le
biscuit posé dans sa main. Tous ces biscuits se transforment en
autant de déjections, mais pas de panique, il y a tout une armée de
japonais prêts à bondir pour passer un coup de balayette. Le chemin
reste en toute circonstance immaculé. Sur le chemin du retour, un
vieux japonais tout recroquevillé fait la circulation munis d'un
bâton lumineux rouge. Un instant j'ai cru reconnaître Yoda et son
sabre laser.
Étape
suivante Himeji. Innovation par rapport à l'itinéraire de mon
précédent voyage. La petite ville posée entre Osaka et Hiroshima
possède un des plus célèbre château du pays. En rénovation la
dernière fois, nous ne nous y étions pas arrêtés. Ce coup-ci je
suis tout content d'apercevoir dés la sortie de la gare la fière
allure de la fortification. Au bout d'une longue avenue d'un
kilomètre on voit clairement à l'horizon l'édifice en bois blanc
juché sur son imposant socle de pierres. C'est clairement la
principale et seule réelle attraction de la ville. Je prendrai mon
temps pour effectuer ma visite dans l'après-midi. On enjambe les
douves habitées par de gros poissons japonais par un petit pont puis
on pénètre dans l'enceinte au travers d'une imposante porte en
bois. Le château trône sur une petite colline. Il faut effectuer un
petite ascension et découvrir de jolis jardins et fortifications
pour arriver à son pied. Comme dans toute habitation nippone on est
prié de se déchausser à l'entrée. Tout le bâtiment est en bois,
il est agréable de sentir la matière directement sous ses pieds. Le
Château est très vertical, on passe d'un plateau à l'autre par un
petit escalier en bois. L'édifice est vide de meuble, il est brut. A
chaque niveau on ressent à la fois le côté massif de l'ouvrage et
la légèreté de l'espace ouvert. Bâtiment avant tout défensif,
les ouvertures fines plongent les pièces dans de claires et calmes
pénombres, hors du temps. Tout en haut on jouit d'une vue
panoramique qui domine toute la ville.
Le
Shinkansen me conduit ensuite à Hiroshima. J'avais beaucoup aimé la
ville lors de ma première visite. Pour tout le monde Hiroshima c'est
une date, le 6 Août 1945, et un mot, bombe. Mais aujourd'hui, c'est
une ville rayonnante et vivante. En ce samedi après-midi ensoleillé,
je croise ainsi des supporters de base-ball vêtus de la tête au
pieds aux couleurs rouge et blanche des carps, l'équipe
locale. Ils se dirigent vers le stade pour un match. Je vais dans
l'autre direction. Je traverse la rue commerçante piétonne,
couverte et très animée de Hondori. On fait les boutiques, on se
presse devant les salles de jeux d'arcades, on fait la queue devant
les restaurants. J'arrive ensuite aux abords du château, totalement
reconstruit à l'identique suite aux événements. S'il n'a pas la
belle blancheur de son voisin d'Himeji, il offre toutefois une belle
apparence riche en détails. Je suis le chemin qui fait le tour du
grand bassin qui l'encercle et lui sert de douves. Je croise toute
une chorale en train de s'exercer. Ils profitent de l'espace dégagé
et de la réverbération de l'édifice. Plus loin, j'observe des
jeunes apprentis joueurs de base-ball en tenue en train d'essayer de
réceptionner des balles que leur lance une paire d'éducateurs et
dans le calme des jardins du château, je m'assois un instant pour
regarder quelques artistes ou amateurs en train de croquer à la
gouache sur leurs chevalets les charmes de ce joli îlot de verdure
noyé dans un environnement urbain. C'est une fois m'être imprégné
de toute cette atmosphère que je me dirige vers le Peace Memorial
Park que je sais fort en émotion. Au milieu du parc brille une
flamme sous une petite arche de pierre. Une lumière pour le souvenir
et pour la paix. Le souvenir de plus de cent milles âmes qui se sont
envolées en un instant. Derrière la flamme dans la perspective, on
aperçoit au loin les ruines du dôme de Genbaku, unique vestige et
témoin visuel de l'horreur. Unique mais nécessaire cicatrice. Pour
le souvenir.
Mais
ce qui prévaut, à présent, à Hiroshima, ici dans ce parc ou dans
le reste de la ville, c'est l'ambition de paix. Le sobre bâtiment
qui fait office de musée se nomme d'ailleurs mémorial
pour la paix. On y retrouve bien
sur toutes les traces de l'horreur. Toutes les images, tous les
témoignages, sans filtre, sans rien à cacher. Mais c'est aussi et
avant tout un endroit qui se veut porteur d'espoir, de paix. La salle
qui m'a le plus marqué est une salle dans laquelle sont accrochées
au mur des copies de lettres envoyées par le maire d'Hiroshima,
depuis 1968, à tout chef d'état réalisant des essais nucléaires.
Tous les murs sont recouverts. Principale ville meurtrie par la
guerre (sans oublier Nagasaki),
Hiroshima ne se pose pas en ville martyre mais en capitale mondiale
pour la paix.
Je terminerai la journée
autour d'un okonomiyaki, une
des spécialités locales. Galette, chou, nouilles, viande ou
tempura de poisson, sauce soja et œuf au plat. Le tout empilé après
être cuit devant soi sur un zinc-plancha. J'ai
fait confiance à la population locale et je me suis mis dans une des
file qui s'est formée devant un restaurant. Au Japon, plus la queue
est longue, plus l'établissement est réputé... Je ne serai pas
déçu. On prend place (une fois son tour venu)
sur un tabouret autour du comptoir qui encercle la cuisine. On est
autant à table qu'au spectacle. Je ne manque pas une miette de la
préparation du plat. Le cuistot, un bandeau vissé sur la tête, est
en représentation. En le regardant manier habilement ses spatules
en métal on comprend qu'il y a clairement un art des gestes.
L'ambiance est bon enfant, mes voisins débriefent le match de
base-ball du jour.
Le mois de Mai au Japon
est très pluvieux. Plus que je n'aurais pu le croire. Face à un
déluge dominical je suis dans l'obligation de repousser mon
excursion sur l'île sacrée de Miyajima. Je reporte celle-ci au
lendemain et doit donc jongler dans la réorganisation de mon riche
programme de visites que j'avais un peu établi au chausse pied. Le
lendemain c'est sous un éclatant soleil que je foule à nouveau
l'île de Miyajima, célèbre pour son grand tori flottant (il
flotte pas vraiment, il a juste la base immergé durant la marée
haute). Mais je ne suis pas
revenu pour lui, je suis revenu pour atteindre le plus haut somment
de l'île, le mont Misen. Cinq cent mètres de dénivelé au menu. Il
y a trois chemin possible (plus un téléphérique).
J'esquive le plus simple, non pas par snobisme mais je me dis que
c'est un bon moyen d'éviter la foule. Je pars donc du temple
Daishoin perdu dans les bois. Ce sont deux milles marches qui me
sont imposées. Le chemin, ou plutôt l'escalier en l’occurrence,
longe une rivière en cascade puis s'enfonce dans le calme de la
forêt. L'île est sacré pour les japonais, il y est interdit d'y
naître ou d'y mourir, et on a pas le droit d'abattre les arbres. Je
vous laisse imaginer le côté sauvage de la balade. De temps à
autre on croise des petits temples et des statuettes de pierre, j'ai
l'impression d'être un chevalier du zodiaque sur les marches du
sanctuaire. En haut, on est récompensé par un joli panorama sur
l'ensemble de l'île. On voit nettement Hiroshima. En revanche on ne
peut pas apercevoir le tori flottant,
celui-ci est masqué par un gros arbre. Et comme ici les arbres sont
sacrés... Pour le retour, je prendrai un autre chemin, le plus
éloigné. Après une descente périlleuse (et quelques
écorchures) sur un sol encore
détrempé de la veille j’atterris dans une jolie clairière où je
me retrouve seul avec des daims et des biches.
Après cette session
apaisante, je rejoints l'embarcadère et sa masse de touristes.
Ferry, train local puis shinkansen à Hiroshima, me voilà sur le
retour. Sauf qu'à Okayama, je quitte la voie touristique classique
pour prendre un train en direction du nord d'Honshu. Je suis prêt à
découvrir un autre Japon.
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