lundi 14 mai 2018

Nostalgie nippone


Pour rejoindre Kyoto, je monte à bord du joyau ferroviaire nippon (et très sûrement mondial), le shinkansen. Ce serpent de ferraille glisse sur les rails à une vitesse folle tout en offrant un confort de qualité à ses occupants. A chaque arrêt, on observe les japonais entrer et sortir du train en files très organisées. Tout est parfaitement coordonné et à l'heure. Un tel niveau de normalité en est même presque flippant.

Je redécouvre Kyoto via sa superbe gare et son immense atrium. En face du parvis se dresse la Kyoto Tower et son acier rouge et blanc, telle que je l'avais laissée quelques années auparavant. Kyoto est vraiment le pendant de Tokyo. Ancienne capitale du pays, elle regorge de temples. J'ai plaisir à m'immerger de nouveau dans cet univers même si je n'ai pas pour ambition de faire une nouvelle visite complète des lieux. A l'est de la ville, on découvre le vieux Kyoto dans le très célèbre quartier Gion. Beaucoup de touristes japonais se prennent en photos avec leurs kimonos colorés dans ce décor si typique de ces rues aux pavés clairs et aux maisons au bois sombre et humide. Des nattes recouvrent les fenêtres en guise de volets. Je me dirige vers le Kiyomizudera, le plus célèbre des temples. A mesure que je m'en rapproche, les petites ruelles commencent à grouiller de touristes, locaux et étrangers. Cette procession passe devant une flopée de boutiques d’artisanats offrant petits objets et autres alléchants mets. Le Kiyomizudera a effectivement quelque chose à part. Pas spécialement beau ou imposant, mais à flanc de colline, il offre une jolie vue sur la ville. Et ce sont tous les petits rituels autour qui le rendent si populaire, comme celui de passer, les yeux fermés, d'un rocher à un autre distant d'une dizaine de mètres. Une réussite et c'est le succès en amour assuré.










Je referai également le pavillon d'or et le pavillon d'argent. Si le premier est noir de monde et se résume finalement à la vue d'un pavillon dorée au bord d'un lac, le second s'offre à la vue avec moins d'apparat mais propose un cadre magnifique, la perfection d'un jardin japonais. Dans une clairière entourée de hauts arbres et d'épais bambous, autour du bâtiment de bois posé au bord de son lac, on flotte dans un univers de légèreté entre tapis de mousse, pierres grises harmonieusement disposées, plages de sable finement ratissées et petits arbres ciselés aux feuilles d'un vert saisissant. Une parfaite alchimie que les japonais expriment parfaitement en trois lettres, zen.





Dans les environs de Kyoto je redécouvrirai avec plaisir Inari, sanctuaire perdu dans la forêt très célèbre pour son armée de toris oranges (les portes symboliques shinto) qui jonchent le parcours. Les jeux de lumières entre les arbres et l'amoncellement des ces portiques font de la montée de ces marches, un enchantement. Enfin ça c'était dans mes souvenirs. En effet, malgré l'heure matinale, c'est accompagné d'une véritable marée humaine que j'aborde les premières pentes. Agglutinés les uns sur les autres, on s'engouffre à petit pas dans cet entonnoir orange. Où est le charme ? C'en est presque grotesque. Mais je prends sur moi, je me dis que plus haut la foule sera moins nombreuse (un peu comme après le premier kilomètre d'une course à pied). Et effectivement, on perd rapidement la majorité des vacanciers chinois (qui on sûrement un emploi du temps à respecter et une fois la photo souvenir prise peuvent retourner à leurs bus). Ainsi, plus je grimpe et plus je retrouve la magie des lieux. Dans le calme et la fraîcheur de la forêt, la succession monotone des toris devient harmonieuse ; et au détour de certains virages on découvre de jois petits temples gardés par des statues de pierres. Avec les plus téméraire, j'apprécie, plus haut, un joli point de vue sur Kyoto et même, en fond sur la gauche, sur la skyline d'Osaka.







Dans l'après-midi, je file plus au sud, à Nara, également ancienne capitale. On traverse une jolie petite ville pour aller de la gare au parc, le cœur touristique. Dans cet environnement vert, on découvre une multitude de pagodes, temples et pavillons. C'est très joli, mais les gens viennent ici principalement pour deux autres choses. La première est le Todai-ji, un immense temple abritant un statue de Bouddha tout aussi grande. A peine le mur d'enceinte franchi, on est frappé par la taille imposante de l'édifice et encore plus par la statue y logeant. La deuxième raison d'une visite à Nara, ce sont ses habitants. Les jardins du parc sont en effet envahis de biches et de daims. Ceux-ci se promènent tout tranquillement, pas gênés le moins du monde par ces attroupements de touristes. Des vendeurs ambulants fournissent des gâteaux aux visiteurs pour les nourrir. On s'approche facilement de ces animaux dociles coupés de leur habitat sauvage. Sachant qu'il vont être récompensés par une friandise, ils répondent par mimétisme aux gestes des visiteurs. En fin de journée, on n'est ainsi pas surpris de les voir continuellement hocher la tête. C'est tout de même un peu triste de les voir dans cet environnement artificiel. Mais ils n'ont pas l'air d'être malheureux, ils sont gâtés et reçoivent de multiples marques d'affections comme ce papi japonais, assis sur les marches du Todai-ji, qui embrasse dans le coup une biche qui passe sa tête au dessus de son épaule pour grignoter le biscuit posé dans sa main. Tous ces biscuits se transforment en autant de déjections, mais pas de panique, il y a tout une armée de japonais prêts à bondir pour passer un coup de balayette. Le chemin reste en toute circonstance immaculé. Sur le chemin du retour, un vieux japonais tout recroquevillé fait la circulation munis d'un bâton lumineux rouge. Un instant j'ai cru reconnaître Yoda et son sabre laser.











Étape suivante Himeji. Innovation par rapport à l'itinéraire de mon précédent voyage. La petite ville posée entre Osaka et Hiroshima possède un des plus célèbre château du pays. En rénovation la dernière fois, nous ne nous y étions pas arrêtés. Ce coup-ci je suis tout content d'apercevoir dés la sortie de la gare la fière allure de la fortification. Au bout d'une longue avenue d'un kilomètre on voit clairement à l'horizon l'édifice en bois blanc juché sur son imposant socle de pierres. C'est clairement la principale et seule réelle attraction de la ville. Je prendrai mon temps pour effectuer ma visite dans l'après-midi. On enjambe les douves habitées par de gros poissons japonais par un petit pont puis on pénètre dans l'enceinte au travers d'une imposante porte en bois. Le château trône sur une petite colline. Il faut effectuer un petite ascension et découvrir de jolis jardins et fortifications pour arriver à son pied. Comme dans toute habitation nippone on est prié de se déchausser à l'entrée. Tout le bâtiment est en bois, il est agréable de sentir la matière directement sous ses pieds. Le Château est très vertical, on passe d'un plateau à l'autre par un petit escalier en bois. L'édifice est vide de meuble, il est brut. A chaque niveau on ressent à la fois le côté massif de l'ouvrage et la légèreté de l'espace ouvert. Bâtiment avant tout défensif, les ouvertures fines plongent les pièces dans de claires et calmes pénombres, hors du temps. Tout en haut on jouit d'une vue panoramique qui domine toute la ville.



Le Shinkansen me conduit ensuite à Hiroshima. J'avais beaucoup aimé la ville lors de ma première visite. Pour tout le monde Hiroshima c'est une date, le 6 Août 1945, et un mot, bombe. Mais aujourd'hui, c'est une ville rayonnante et vivante. En ce samedi après-midi ensoleillé, je croise ainsi des supporters de base-ball vêtus de la tête au pieds aux couleurs rouge et blanche des carps, l'équipe locale. Ils se dirigent vers le stade pour un match. Je vais dans l'autre direction. Je traverse la rue commerçante piétonne, couverte et très animée de Hondori. On fait les boutiques, on se presse devant les salles de jeux d'arcades, on fait la queue devant les restaurants. J'arrive ensuite aux abords du château, totalement reconstruit à l'identique suite aux événements. S'il n'a pas la belle blancheur de son voisin d'Himeji, il offre toutefois une belle apparence riche en détails. Je suis le chemin qui fait le tour du grand bassin qui l'encercle et lui sert de douves. Je croise toute une chorale en train de s'exercer. Ils profitent de l'espace dégagé et de la réverbération de l'édifice. Plus loin, j'observe des jeunes apprentis joueurs de base-ball en tenue en train d'essayer de réceptionner des balles que leur lance une paire d'éducateurs et dans le calme des jardins du château, je m'assois un instant pour regarder quelques artistes ou amateurs en train de croquer à la gouache sur leurs chevalets les charmes de ce joli îlot de verdure noyé dans un environnement urbain. C'est une fois m'être imprégné de toute cette atmosphère que je me dirige vers le Peace Memorial Park que je sais fort en émotion. Au milieu du parc brille une flamme sous une petite arche de pierre. Une lumière pour le souvenir et pour la paix. Le souvenir de plus de cent milles âmes qui se sont envolées en un instant. Derrière la flamme dans la perspective, on aperçoit au loin les ruines du dôme de Genbaku, unique vestige et témoin visuel de l'horreur. Unique mais nécessaire cicatrice. Pour le souvenir.








Mais ce qui prévaut, à présent, à Hiroshima, ici dans ce parc ou dans le reste de la ville, c'est l'ambition de paix. Le sobre bâtiment qui fait office de musée se nomme d'ailleurs mémorial pour la paix. On y retrouve bien sur toutes les traces de l'horreur. Toutes les images, tous les témoignages, sans filtre, sans rien à cacher. Mais c'est aussi et avant tout un endroit qui se veut porteur d'espoir, de paix. La salle qui m'a le plus marqué est une salle dans laquelle sont accrochées au mur des copies de lettres envoyées par le maire d'Hiroshima, depuis 1968, à tout chef d'état réalisant des essais nucléaires. Tous les murs sont recouverts. Principale ville meurtrie par la guerre (sans oublier Nagasaki), Hiroshima ne se pose pas en ville martyre mais en capitale mondiale pour la paix.

Je terminerai la journée autour d'un okonomiyaki, une des spécialités locales. Galette, chou, nouilles, viande ou tempura de poisson, sauce soja et œuf au plat. Le tout empilé après être cuit devant soi sur un zinc-plancha. J'ai fait confiance à la population locale et je me suis mis dans une des file qui s'est formée devant un restaurant. Au Japon, plus la queue est longue, plus l'établissement est réputé... Je ne serai pas déçu. On prend place (une fois son tour venu) sur un tabouret autour du comptoir qui encercle la cuisine. On est autant à table qu'au spectacle. Je ne manque pas une miette de la préparation du plat. Le cuistot, un bandeau vissé sur la tête, est en représentation. En le regardant manier habilement ses spatules en métal on comprend qu'il y a clairement un art des gestes. L'ambiance est bon enfant, mes voisins débriefent le match de base-ball du jour.




Le mois de Mai au Japon est très pluvieux. Plus que je n'aurais pu le croire. Face à un déluge dominical je suis dans l'obligation de repousser mon excursion sur l'île sacrée de Miyajima. Je reporte celle-ci au lendemain et doit donc jongler dans la réorganisation de mon riche programme de visites que j'avais un peu établi au chausse pied. Le lendemain c'est sous un éclatant soleil que je foule à nouveau l'île de Miyajima, célèbre pour son grand tori flottant (il flotte pas vraiment, il a juste la base immergé durant la marée haute). Mais je ne suis pas revenu pour lui, je suis revenu pour atteindre le plus haut somment de l'île, le mont Misen. Cinq cent mètres de dénivelé au menu. Il y a trois chemin possible (plus un téléphérique). J'esquive le plus simple, non pas par snobisme mais je me dis que c'est un bon moyen d'éviter la foule. Je pars donc du temple Daishoin perdu dans les bois. Ce sont deux milles marches qui me sont imposées. Le chemin, ou plutôt l'escalier en l’occurrence, longe une rivière en cascade puis s'enfonce dans le calme de la forêt. L'île est sacré pour les japonais, il y est interdit d'y naître ou d'y mourir, et on a pas le droit d'abattre les arbres. Je vous laisse imaginer le côté sauvage de la balade. De temps à autre on croise des petits temples et des statuettes de pierre, j'ai l'impression d'être un chevalier du zodiaque sur les marches du sanctuaire. En haut, on est récompensé par un joli panorama sur l'ensemble de l'île. On voit nettement Hiroshima. En revanche on ne peut pas apercevoir le tori flottant, celui-ci est masqué par un gros arbre. Et comme ici les arbres sont sacrés... Pour le retour, je prendrai un autre chemin, le plus éloigné. Après une descente périlleuse (et quelques écorchures) sur un sol encore détrempé de la veille j’atterris dans une jolie clairière où je me retrouve seul avec des daims et des biches.














 Après cette session apaisante, je rejoints l'embarcadère et sa masse de touristes. Ferry, train local puis shinkansen à Hiroshima, me voilà sur le retour. Sauf qu'à Okayama, je quitte la voie touristique classique pour prendre un train en direction du nord d'Honshu. Je suis prêt à découvrir un autre Japon.

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